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Rencontre Clarisse Gorokhoff

Rencontre Clarisse Gorokhoff

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Clarisse Gorokhoff est une jeune écrivaine française qui publie son troisième roman « Les fillettes » aux Editions des Equateurs pour la rentrée littéraire de 2019. Ses précédents romans « De la bombe » et « Casse-gueule » ont été publiés chez Gallimard en 2017 et 2018.

Je vous propose de la découvrir.

AFDL : Bonjour Clarisse, je te remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions. Qui es-tu Clarisse Gorokhoff ?

Clarisse : Tiens, c’est drôle, pas plus tard que ce matin je me posais la même question ! Et… toujours pas de réponse convaincante. Peut-être que ce « moi » résultera de cette tentative plus ou moins acharnée, plus ou moins vaine, d’y répondre. En tout cas pour le moment ça n’entrave en rien mon plaisir d’être, d’une part, en vie, d’autre part, qui je suis. C’est le principal, non ? 

AFDL : Écrire, qu’est-ce que cela représente pour toi ?

Clarisse : La liberté. Et la paix, bizarrement…

AFDL : Depuis quand écris-tu ?

Clarisse : Depuis que je sais écrire. Même avant d’ailleurs. Toute petite, je voulais imiter ma mère que je voyais sans arrêt noter des choses dans des carnets. Alors je passais derrière elle et j’ajoutais des « gnkidezginzescrouztzzrghzùwd fokeghzufjjrajfispa » qui m’emplissaient de fierté ! J’étais persuadée d’avoir écrit des histoires passionnantes.  

AFDL : Tes deux premiers romans étaient des fictions, celui-ci est différent, pourquoi ?

Clarisse : Parce que je ne pouvais pas écrire Les Fillettes en premier. Ça aurait été trop difficile – laborieux et douloureux. Et puis j’aime la fiction, c’est une échappatoire grisante. Du reste, dans mes trois livres, il y a toujours un entremêlement, plus ou moins intense, de réel et d’imaginaire. 

 AFDL : « Ces fillettes » ont-elles permis d’exorciser un profond chagrin ?

Clarisse : J’ai replongé la tête la première dans une période sombre, qui me semblait lointaine mais qui était en réalité encore très vive et palpable… Maintenant que le livre est achevé, je peux difficilement m’exclamer : « Ouf ! Quelle catharsis ! Je me sens beaucoup plus légère ! » Non… J’ai mis des mots sur des choses, articulé des événements et des non-dits, balbutié des émotions… et retrouvé, à travers ces souvenirs d’enfance, une joie et une force que j’avais oubliées. Et aujourd’hui, j’ai encore en moi ce chagrin et cette joie qui cohabitent.

AFDL : Est-il important de poser les mots sur la souffrance intime – les douleurs de l’âme comme celles de Rebecca ?

Clarisse : C’est crucial. D’ailleurs c’est ce que fait Rebecca tous les jours, de manière anarchique certes, comme tout ce qu’elle fait, mais chaque jour, fidèlement : elle écrit, retranscrit ses rêves, ses angoisses, ses impasses… Ce n’est pas toujours salvateur, ni suffisant pour ne pas sombrer, mais c’est crucial.

Ecrire est libérateur, pour tout le monde, j’en suis persuadée. C’est pour ça qu’il faut encourager les ateliers d’écriture pour tous les publics (comme je le fais en en animant). Non pas en faisant miroiter aux gens qu’ils vont être publiés et rentrer dans la Pléiade de leur vivant, mais pour qu’ils avancent et empoignent leur vie, saisissent leur destin et leur identité. Et tout simplement, pour SOUFFLER (dans la Bible, du reste, « au commencement était le Verbe », mais c’est le Souffle qui l’anime – le Souffle est le point de départ et le point d’arrivée).

AFDL : Parler des dommages collatéraux ?

Clarisse : C’est un peu le sujet du livre. Des dommages, il y en a dans toute vie et dans toute histoire. En parler, c’est tenter de les comprendre et de les partager. C’est à la fois reprendre le contrôle sur eux et les exporter dans une autre dimension : celle de l’universel. Car une fois partagés – ces pertes, ces incompréhensions, ces fracas – ils ne sont plus un « lot » pesant sur nos existences dans un silence de plomb. Ils sont une page commune, sur laquelle de multiples expériences s’entrelacent – et ainsi s’apaisent.

AFDL : Comment l’absence façonne-t-elle la fillette qui raconte ?

Clarisse : Façonner, c’est un très joli verbe ! « Travailler quelque chose afin de lui donner une forme particulière. »

On façonne tout et tout nous façonne, en permanence. On passe notre vie à composer, disposer, arranger… Et quand on en a marre, on déplace, on ajuste, on réinvente. Et ainsi de suite jusqu’au dernier souffle.

La fillette, qui observe et raconte, doit composer avec le monde et les tragédies qu’elle perçoit déjà à travers lui : la tragédie de sa mère – et plus généralement de l’existence –, son mal-être. On se débat à tout âge avec cette tragédie, mais ça ne veut pas dire qu’elle nous terrasse à chaque fois. Loin de là ! Il y a tellement de choses puissantes à notre disposition pour la combattre, l’infléchir, et lui faire perdre pied à elle aussi. La joie, le rêve, la beauté, le rire… L’écriture.

AFDL : Se livrer par l’écriture, est-ce s’exposer ?

Clarisse : Ecrire, c’est s’exposer à être lu, jugé, censuré… Mais aussi compris, défendu, aimé.

Aimer, c’est s’exposer à être déçu, malmené, quitté…Mais aussi à être aimé, touché, bouleversé. Donc vivre, c’est s’exposer sans fin.

Et pour ma part, ça me va très bien ! D’ailleurs, je considère l’écriture et l’amour comme des prises de risques nécessaires pour vivre et s’élever.

AFDL : Comment tes proches ont-ils appréhendé cet écrit ?

Clarisse : Avec une distance bienveillance, qu’on appelle sans doute le respect.

AFDL : Ton écriture est entière, brutale, mais aussi poétique. Les mots sont ceux d’un héritage ?

Clarisse : Je vois une ligne directe entre l’écriture de ma mère et la mienne. Dans le désir impulsif d’écrire, tout d’abord. Quand j’ai commencé à écrire des poèmes et des nouvelles, vers 16 ans, je voulais la retrouver en imitant son style. Et puis, j’ai trouvé le mien, mon « souffle » à moi (on y revient). Elle était morte, j’étais vivante, et un souffle nous rapprochait tout en nous distinguant.

AFDL : Comment est né ton écrit ? Quel a été ton cheminement ?

Clarisse : En 2018, je commençais avec enthousiasme l’écriture d’un roman choral qui se passait dans un immeuble. Puis la mère de ma mère est morte, et je suis tombée sur des papiers qu’elle gardait dans une petite boîte. Parmi eux se trouvaient des lettres de ma grande sœur adressées à ma mère quand elle était dans le coma, dans lesquelles elle lui enjoignait de « faire un effort et de se réveiller, de l’écouter et de ne pas mourir ». J’ai été bouleversée par sa petite écriture maladroite et pleine de fautes (elle venait tout juste d’apprendre à écrire) qui donnait à sa mère de tels ordres existentiels. Ça été un choc et une révélation : il me fallait replonger dans cette histoire et l’écrire.

AFDL : Quand trouves-tu le temps d’écrire ?

Clarisse : Je le prends, tout simplement. Je cherche plutôt le temps de… faire tout le reste.

AFDL : As-tu un petit rituel d’écriture ?

Clarisse : Après avoir bu un grand verre de mezcal, je mets Vivaldi à fond, retire mon kimono et fais ramper mon Boa royal dis fois autour de mon bras droit. C’est un rituel un peu convenu, j’en conviens, mais ça optimise la concentration et permet d’éviter la page blanche.

AFDL : As-tu de nouveaux projets d’écriture ?

Clarisse : Oui ! Trois. Au moins. Très différents les uns des autres et de ce que j’ai écrit jusque-là.

AFDL : Parviens-tu à concilier ta propre écriture avec l’atelier d’écriture que tu mènes ?

Clarisse : J’anime des ateliers surtout l’après-midi et je préfère écrire le matin. Les deux activités sont très complémentaires : solitude et partage, toujours articulés autour de l’écriture.

AFDL : Quelles seront tes trois prochaines lectures ?

Clarisse :

Personne ne gagne, de Jack Black

L’Albatros, de Nicolas Houguet

La discrétion, de Pierre Zaoui

AFDL : Quels sont tes trois derniers livres  « Coup de Cœur »?

Clarisse : Cet été fut un été (involontairement) ultra féminin. J’ai découvert et dévoré presque tout Lydie Salvayre, adoré Summer de Monica Sabolo, Supplément à la vie de Barbara Loden de Nathalie Léger et Manuel à l’usage des femmes de ménages de Lucia Berlin. Côté essais, j’ai beaucoup aimé Rupture(s), de Claire Marin, Sauver nos vies de Nathalie Sarthou-Lajus. Et j’ai lu beaucoup de poésie – où j’ai retrouvé un peu de bonne vieille testostérone !

AFDL : Un dernier mot ?

Si je me contentais de répondre « Merci », je respecterais la consigne du dernier mot. Mais comme je suis déjà lancée dans une phrase qui excède de loin le mot unique, j’en profite pour te remercier chaleureusement, chère Bénédicte, pour l’intérêt que tu as porté à mon livre, pour la subtilité de tes questions et pour la manière dont tu transmets ton immense amour de la littérature contemporaine. Merci 😊

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