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Rencontre – Nina Bouraoui

Rencontre Nina Bouraoui

NINA BOURAOUI

Nina Bouraoui est romancière. Elle est notamment l’auteur de La Voyeuse interdite (prix du Livre Inter 1991), Garçon manquéLa Vie heureuseMes mauvaises pensées (prix Renaudot 2005), StandardBeaux rivages et plus récemment le magnifique Tous les hommes désirent naturellement savoir, sélectionné par le prix Femina et le Prix Médicis.

Aux Editions JC Lattès, vient de paraître son dernier roman Otages.

AFDL : Bonjour Nina, je vous remercie sincèrement d’avoir accepté de répondre à mes questions. Qui êtes- vous Nina Bouraoui ?

Nina : Je suis une femme, écrivain, française, de père algérien. Je suis hantée par l’écriture. Elle est mon identité, depuis mon enfance. J’aime chaque livre qui va naître. La création m’équilibre, me rend libre. J’aime la vérité et je déteste le mensonge et la trahison. Je suis amoureuse de la Méditerranée, de l’été, des rochers d’où l’on plonge. Je suis constituée des rives du sud qui m’attachent à mon enfance en Algérie.

AFDL : Écrire, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Nina : Ecrire c’est se donner, sans compter, à l’écriture. C’est retrouver une lumière, des ombres. C’est restituer les bruissements ou les cris du monde. C’est dénoncer l’injustice et défendre les plus fragiles. C’est fixer la beauté quand elle n’est plus. Ecrire est une forme de résistance et un engagement. J’y vois l’une des réponses à la violence.

AFDL : Depuis quand écrivez-vous ?

Nina : J’ai toujours su que l’écriture serait mon destin. Ma part centrale, solaire. Dès l’âge de huit ans j’ai compris la liberté que pouvaient offrir les mots. J’ai commencé à vraiment écrire à l’âge de quinze ans, des nouvelles, puis à dix neuf ans j’ai commencé un roman (La voyeuse interdite), achevé quelques années plus tard, envoyé par la poste, retenu tout de suite par les éditions Gallimard. J’avais vingt quatre ans et recevais le Prix du livre Inter. Nous étions en 1991, c’est l’année de mon « entrée » officielle en littérature.

AFDL : Quand trouvez-vous le temps d’écrire ?

Nina : J’écris tous les jours et parfois la nuit. Je ne trouve pas le temps, il s’impose à moi. Un livre est une invasion et un rendez-vous amoureux. La grâce ne surgit qu’à force d’écrire.

AFDL : Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Nina : La vie, le monde, la beauté, les hommes et les femmes,  mes aimés, mon enfance, la condition sociale, la peur, la condition des femmes, les forces obscures de mon inconscient et ma mémoire photographique.

AFDL : Comment est né votre roman ?

Nina : Otages fut une commande du Paris des Femmes, festival de théâtre dédié aux femmes. Nous étions fin 2014, avant les mouvements sociaux, avant Me too.

Sylvie Meyer, mon héroïne s’est imposée à moi. Elle existait « en » moi. Je devais l’écrire, lui donner des mots, une voix, une parole, en tant que femme et en temps « qu’invisible ». La pièce a été jouée, lue, au théâtre des Mathurins, à l’Opéra de Vichy, chez Agnès Varda à Bonnieux, à Valence, à Lyon… En 2016 j’ai continué à l’écrire. Il manquait la jeunesse de Sylvie, sa part d’ombre qui explique sa violence.

AFDL : « Otages » est-il le reflet d’un mal-être social ?

Nina : Otages, de façon étrange dit le malaise économique et social de notre époque, de cette dernière année de conflit, entre les travailleurs et le gouvernement. Il dit aussi l’éternelle brisure des femmes : leur statut de proie, leur difficulté à se faire entendre, à se faire respecter. Otages embrasse toutes les violences et les complexités de notre époque. Les écrivains sont des sorciers. En 2014, j’ai senti, encore plus fort que d’habitude, je crois, la colère des travailleurs, le désespoir des femmes qui ont tant de mal à dire, à dénoncer, à se défendre.

AFDL : Ce roman est-il la dénonciation de ce que subissent les femmes ? Les violences répétées, la pression ?

Nina : La violence au travail est un constat. Les femmes la subissent comme les hommes, mais je crois que c’est une violence encore plus insidieuse, car le corps est toujours impliqué, comme l’intimité, la sexualité. Les forces négatives que l’on exerce sur les femmes ont toujours un lien avec le corps des femmes, ce corps tant de fois maltraité, violenté ou banni.

AFDL : Pensez-vous que les choses évoluent pour les femmes ?

Nina : Je crois que les femmes (notamment en France), brisent de plus en plus le silence, osent dire, se défendre, la parole n’est plus suspecte, elle est entendue et j’ai l’impression de plus en plus respectée. C’est d’ailleurs très instructif d’assister à la révolution par le langage. Les victimes sont aussi victimes, souvent, de leur propre silence. Des chaînes sont entrain de se briser, même si je pense que le chemin est encore long et les pièges nombreux.

AFDL : Avez-vous un petit rituel d’écriture ?

Nina : Oui, j’écris couchée, sur mon lit, un canapé, dans ma chambre, à l’hôtel. Je déteste les bureaux. L’horizontalité me permet d’investir physiquement mon texte. J’ai toujours écrit ainsi. Ou alors dans un train, ou sur mes genoux, en mouvement, ou dans le bruit. J’ai écrit mon Renaudot (Mes Mauvaises Pensées) dans la poussière et le bruit des travaux. J’ai besoin de désordre, d’étrangeté, pour écrire. Un bureau est trop conformiste. En revanche je suis toujours coiffée, maquillée, habillée pour « honorer » mon livre », c’est une forme de respect : le travail est une grande valeur. Il rend libre et fort et il devrait toujours être pensé, pratiqué ainsi. Et là aussi le chemin est long, et il faudra des années encore pour respecter le travailleur, réduire ses contraintes, le protéger, le récompenser.

AFDL : Avez-vous de nouveaux projets d’écriture ?

Nina : J’ai plusieurs projets, comme toujours. J’ai très peur du vide, alors, comme Sylvie Meyer, j’établis des listes 😉  Pour l’instant j’écris un roman en alternance avec un projet plus autobiographique. C’est un juste équilibre. L’un finira par prendre le pas sur l’autre, mais j’ai l’illusion ou la naïveté de ne pas avoir à intervenir. J’aime croire que ce sont les livres qui me montrent le chemin, que je suis à leur merci. C’est eux qui décident.

AFDL : Quelles seront vos trois prochaines lectures ?

Nina : Les Amants météores d’Héloïse Cohen de Timary (JC Lattès), L’effet maternel de Virginie Linhart (Flammarion), Le Consentement de Vanessa Springora (Grasset).

AFDL : Quels sont vos trois derniers livres  « Coup de Cœur »?

Nina : Cette Inconnue d’Anne-Sophie Stefanini (Gallimard), Nuit espagnole, Adel Abdessemed, Christophe Ono-dit-Biot (Ma nuit au musée, Stock), Journal, volume II de Susan Sontag.

AFDL : Un dernier mot ?

Nina : Merci pour l’invitation !

AFDL : C’est moi qui vous remercie. Merci Nina ! 

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